samedi 14 janvier 2012

L'HERBIER DE PIERRE

  
La genèse du charbon
vue à travers ses fossiles

 

Intervention au Musée du bassin houiller lorrain – 13 mai 2004

 
L’exposition que nous venons de visiter m’inspire plusieurs réflexions. Ce qui m’a frappé en premier ce sont les planches de paléobotanique qui tapissent les murs. Elles rappellent ce qu’il a fallu d’intelligence et de talent pour représenter l’ère du charbon à l’état fœtal.


Les éléments qu’elles réunissent s'inscrivent
dans une présentation scrupuleuse, systématique à sa manière,
au service d’un enseignement, d’une évangélisation laïque qui caractérisent si bien un certain esprit scientifique du début du XXe siècle.
Ces planches rappellent l’âge d’or de la paléobotanique et
de la stratigraphie.
 
 

On imagine bien l’utilité des fossiles dans la phase exploratoire du gisement houiller sarro-lorrain.  Car c’est à ce moment là, avant l’arrivée de techniques plus sophistiquées, (on est loin des camions blancs de la sismique…) que la paléontologie végétale a trouvé son utilité et son application.
 
La disposition initiale des sédiments carbonifères a été bouleversée par les phénomènes de compression et de distension qui ont provoqué l’existence de plis, de fractures par étirement, de failles de tassement, quand ils n’ont pas entraîné, dans certains cas, une émersion suivie d’érosion de certains secteurs, enlevant ainsi, par endroits, une partie des sédiments houillers précédemment déposés.
 
Tous ces phénomènes ont rendu difficile la reconnaissance des différents faisceaux et leur raccordement, d’un secteur à l’autre, sur les critères du seul travail des géomètres.
 
Avec la paléontologie, comme la pierre de Rosette, les schistes à empreintes de végétaux ont livré leur grille de lecture. En effet, la flore a progressivement évolué et des associations végétales différentes se sont succédé au cours du temps et elles ont caractérisé certains faisceaux.
 
Ainsi, des fossiles ont acquis le statut de marqueurs stratigraphiques, comme, par exemple, Neuropteris ovata, une fougère à graines décrite par Hoffmann, fossile directeur du Westphalien D qui a permis de déterminer avec une bonne approximation que l’on se trouve dans cette zone. D’où l’intérêt de connaître les frondes, pennes et pinnules de Neuropteris ovata. Les planches de paléobotanique ont précisément servi à cela.
 
Votre exposition a le mérite d’être globale et locale. 
Globale : c’est la dimension que lui donnent les documents généraux et l’horloge géologique que nous venons de voir.
Locale : c’est la dimension que lui assurent les fossiles majeurs du Carbonifère en Lorraine.
 
Ils appartiennent à cinq embranchements :
 
- Les lépidophytes : lépidodendrons et sigillaires en constituent les représentants.
 
- Les arthrophytes : un groupe qui n’est plus représenté aujourd’hui que par les prêles et dont les individus atteignaient la taille d’un arbre.
 
- Les filicophytes : les fougères à sporanges.
 
- Les ptéridospermophytes : longtemps confondus avec les fougères, car pourvus de frondes, mais se reproduisant par graines.
 
- Les cordaïtophytes : gymnospermes primitives arborescentes.
 
Etranges forêts, aux végétaux bizarres, raides, géométrisés. Ils n’étaient encore que les simulacres des arbres qui n’apparurent que bien plus tard.
 
La prolifération, puis la disparition des « fougères à graines » constituent un chapitre essentiel de l’évolution de la flore qui s’était trouvée à l’origine de la formation du charbon. Elles ont d’abord posé une énigme aux paléobotanistes. Leurs frondes ressemblaient à celles des fougères, mais ne présentaient jamais de sporanges. 
 
Ce n'est qu'après 1900 qu'intervint une découverte décisive, certaines graines devaient incontestablement être rattachées à ces végétaux constituant un groupe à part, les ptéridospermophytes, classés parmi les gymnospermes, c’est-à-dire au sous-embranchement des plantes à graines comprenant celles dont les ovules, puis les graines, sont portés sur des écailles plus ou moins ouvertes, au lieu d’être enfermés dans un ovaire, puis dans un fruit clos comme c’est le cas chez les angiospermes.
 
La question n’a plus rien de spéculatif aujourd’hui. Mais on peut en tirer un enseignement et constater que la nature est redoutable quand elle est contrainte d’abandonner un scénario au profit d’un autre. En tout état de cause, elle conserve ses droits.
 
L’étude de la flore fossile révèle, en effet, que certains groupes de végétaux ont exploré toutes les possibilités d’une certaine formule d’organisation pour retourner ensuite à l’immobilité relative ou absolue, et quelquefois disparaître entièrement.
 
C’est le cas du règne éphémère des « fougères à graines » qui se sont éteintes  à la fin du Paléozoïque. Le temps, tout de même, de participer à la constitution du gisement charbonnier lorrain qui a mis cinquante millions d’années à se mettre en place, entre -320 à -270 MA, alors que les terres émergées du Globe étaient rassemblées pour former un super-continent et que l’Europe se trouvait sous les tropiques.
 
L’évolution de la vie rayonne en silence dans les fossiles et nous exhorte à ne pas être indifférents à la planète que nous transmettrons aux générations futures. C’est ce que cherche à traduire « L’herbier de pierre » en montrant, page à page, des végétaux aujourd’hui disparus.
 
Merci d’avoir inséré dans la vie du Carreau Wendel la sortie de « L’herbier de pierre ».
 
Pourquoi cet ouvrage ? Mon père était mineur à Merlebach et nous habitions en face de la centrale thermique de Grosbliederstroff. J’ai compris, étant gosse, comment l’on produisait de l’électricité à partir du charbon – des schlamms plus exactement – via une chaudière et un groupe turbo-alternateur.
 
Mon père m’a initié à la paléontologie, martelant obstinément son espoir de me voir faire des études. C’est avec une bourse des mines que je les ai faites.
 
Lorsque la mine de Merlebach s’est arrêtée, en septembre 2003, j’ai fait le pari de réaliser ce livre, projet auquel je pensais depuis longtemps. Etais-je capable de relever le défi pour le mois d’avril, marqué par la fermeture de La Houve ? Mon intention, à cette occasion, était de rendre hommage aux mineurs, car ils ont été les premiers, pendant un siècle et demi, à feuilleter les pages du grand livre de l’histoire de la Terre.
 
Je me suis souvenu de Saint-Exupéry : «Faites que le rêve dévore votre vie, afin que la vie ne dévore votre rêve».
 
Saint-Ex m’a également appris que « si je n’agis pas, je suis responsable » et que « l’existence n’a de sens que si nous nous sentons liés à autrui, puisqu’on est frère en quelque chose et non frère tout court ».
 
Pour ma part, je me sens en fraternité avec les mineurs et cette publication est ma façon d’apporter ma pierre au bien commun, au travail de mémoire qui s’accomplit dans le bassin houiller lorrain, pour que la culture minière ne soit jamais frappée de nécrose. Mais qu’elle soit - au contraire - la pierre d’angle de la culture scientifique, technique et industrielle profitable aux « enfants du charbon », une culture  propre à cette terre d’énergie qui doit le rester. 

Glück Auf !
 
 
Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur




Lire aussi :
 - Les premières graines... 



Photo Armand Ribic HBL-Audiovisuel ©
                       

1 commentaire:

Patricia Moreau a dit…

Sincères félicitations pour ce travail, Sylvain et pour votre article, qui permet d'appréhender un sujet scientifique, donc ardu à priori, avec aisance.
Je m'incline respectueusement devant les motivations qui ont inspiré cet ouvrage. Voilà une belle façon de rendre hommage à la Terre, notre mère nourricière, ainsi qu'aux hommes qui la peuplent et l'entretiennent de leur labeur au fil du temps et des générations qui se succèdent.
La photographie où vous présentez votre livre est très belle : merci.
P.M.